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Carnet de bord d'un voyageur sans retour...
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22 juillet 2004

Souvenirs attrapés au détour d'une bourrasque...

Je viens de lire un blog lentement, longuement, certains mots faisant écho à des situations le plus souvent passées, comme si Proust avait deux mains, comme si je pouvais me lire moi-même des années en arrière. Ça fait bizarre... étrange. Étranger à moi-même, cet assemblage de mots qui pourraient résumer mon âme entière, chanson inachevée :
"Si loin, si proche..."
Travelling arrière sur le Ulysses, en plein milieu d'un néant empreint de tendresse et de solitude. Sans objet, comme une suspension : et là, désarmé face aux images mentales qui se succèdent, comme plusieurs rushs d'un même film balancés dans mon esprit, certains sur fond de sépia, d'autres beiges, encore d'autres en noirs et blanc...

Sac à dos sur le quai de Denfert-Rochereau, le dos face à la rame du RER, cette sonnerie en sol si particulière, une seconde ou deux le temps que mon regard errant cherche une silhouette familière parmi la cohue mouvante sur le quai. Ça y est, je le vois, nos yeux se croisent alors que la rame repart dans un bruit électrique et glissant de plus en plus aigu, martelé par les rails. Ta-da ta-tum, ta-da ta-tum,... Il reste fixe et me regarde : il sourit.

Descendre en grande classe du TGV, m'aidant de la barre verticale pour descendre mes jambes et la lourde valise (comme si j'étais en talons) du wagon de première classe : grande classe... arpenter le quai de la gare de Lyon vers la salle Diderot où nous nous étions fixés rendez-vous. Traîner ma valise sur ses roulettes, une Dunhill rouge longue à la bouche, le port altier, le menton bien haut. Toujours trés grande classe, costume en flanelle et chemise en coton peigné de Yves Saint-Laurent. Arriver au bout du quai, l'avoir vu avant que lui ne me voit, cherchant du regard à gauche à droite, le chien à ses pieds. Je lève le bras que j'ai de libre et le hèle de la main. Il ne me voit pas encore. Le chien, lui, m'a déjà repéré et se met à détaler comme une fusée en ma direction. Sursaut de sa part à lui, il suit le chien du regard qui vient me faire la fête. Ça y est : il m'a vu et vient à ma rencontre. Il portera mes bagages...


Il pleut. Voiture 17, trop loin du butoir pour être abritée de la pluie. Nous marchons de concert comme si de rien n'était, comme si nous allions acheter le pain ou voir une toile au ciné des Halles. On ne se regarde pas en face. La porte du wagon est ouverte, je rentre pour me protéger, chercher ma place et caler mes bagages, alors qu'il reste dehors à se tremper et à me suivre des yeux. Encore dix minutes, j'ai le temps de ressortir fumer une clope à l'entrée de la voiture. Il reste trempé sans oser rentrer, sans oser encore partir, égrainant comme un chapelet les recommandations d'usage : prendre soin de moi, le tenir au courant, qu'on se manquera surement. C'est vrai, sans doute, je n'ai pas envie d'y penser, mon regard et mon attention partent en volutes, en suivant la fumée de cigarette que certains voyageurs commencent déjà à regarder d'un oeil torve. La voix de "Simone" annonce le départ du train et la fermeture imminente des portières. Et là, ce fou se jette sur moi pour me voler un smack. La porte se referme et, au travers du hublot, je le regarde : moi fasciné, lui satisfait, tous deux discrets après ce geste à l'époque insensé et loin d'être à la mode. Les grincements des articulations métalliques désynchronisent nos regards. Je pars, il me suit tant qu'il peut du regard. J'accuse la fumée de ma cigarette d'être à l'origine d'une larme qui coule d'un de mes yeux.


Il est temps de refermer cette note comme on referme un album photo. Comment joie peut-elle être si amère, et chagrin si doux ?

 

Soundtrack : OVERHEAD — As if stolen

 

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