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Carnet de bord d'un voyageur sans retour...
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5 juillet 2004

Les "trop beaux"

    Jamais je ne me sens autant en vacances qu'en arrivant à Port-Galland. En un peu plus d'une demi-heure, je me sens dépaysé dans cette villégiature au pays des moeurs éclectiques, où tout le monde vaque à poil à ses occupations, et où les messieurs peuvent s'apparier sans regard déplacé (ou alors un petit, de convoitise) et aller s'isoler dans un buisson, un fourré (sic!), une "chambre" comme nous aimons à appeler les endroits confortables. Ayant quitté le boulot de trés bonne heure, j'ai pu au bout d'un moment me retirer dans ma "crique", sablonneuse, pile face à l'Ain. La tête à l'ombre, le corps au soleil, bénéficiant du vent frais de ce qu'ils disent être à la météo la dernière belle journée de la semaine.

    "La crique" est vraiment mon emplacement privilégié sur le site naturiste de Port-Galland. Le seul inconvénient est peut être son manque d'intimité, espace ouvert à tous les vents. Mais du coup, mon paysage est peuplé de types qui passent et viennent une seconde ou deux me cacher la vue sur l'Ain, comme des paupières qui clignent. Et j'en vois passer du monde, parfois... De tous les âges (si ! si ! Port-Galland n'est pas une maison de retraite pour naturistes, n'en déplaisent aux langues de >bip !<), avec toutes les intentions du monde (allant de la bronzette à la quête de partouzeurs), et surtout de tous les physiques.

    Il y a donc de tout, et pour tous les goûts. Deux types particuliers m'intéressent, du strict point de vue anthropologique, cela va de soi.
J'ai une certaine admiration forcée pour les vieux bonhommes au physique ingrat, bedonnants, mal dotés par Mère Nature, qui viennent pourtant exhiber un corps masculin qui n'a rien d'esthétique, sans gêne ni vergogne. Certains n'ayant pas peur du ridicule poussent même la prouesse en s'affublant de strings fluos ou autres sous-vêtements sidérants dont je n'exposerai pas les détails ici. Leur corps ne les préoccupent pas dans leur aspect, ou alors ils ne s'en rendent pas compte. Qu'ils se rassurent, on s'en rend compte à leur place. Et je dois à ces gars déformés par le temps une fière chandelle, celle qui m'éclaire d'une voix qui me dit : "Surtout, en rentrant, tu n'oublies pas de faire tes abdos et tes exercices de gyms".
Ben oui, faut sauver un minimum la mise...

    Il y a quelques temps, j'avais lu avec amusement et tendre sympathie une note de ce blogueur qui parlait de son aspect physique. L'ayant vu en photo (sur un site de rencontres), je peux le rassurer, il n'a aucun souci d'ordre esthétique à se faire, même si on n'est jamais vraiment content de l'image qu'on renvoit de soi-même, ce qui —je trouve— est un bon indicateur de santé mentale. Moi aussi, voilà plusieurs années que je lutte contre un métabolisme ectomorphe, essaie à coups de fonte de faire non pas disparaître quelquechose, mais apparaître quelquechose qui gommerait une silhouette digne des camps de concentration, galberait des cannes de serin et des bras épais comme des bretzels, épaissirait des têtons plats, et affinerait un abdomen taillé dans du Flamby.
    Il faut croire que j'y arrive, entre les commentaires de Dan., ou de mes autres récents succès, que ce soit ici, à Port-Galland, ou en boîte, dans des bars, etc...

    J'en arrive alors à la seconde catégorie de mecs qui me sidèrent. Mais eux, c'est plus l'éxaspération qui me taraude, lorsque je les vois passer. —nuance : lorsqu'ils se voient passer devant moi (et d'autres) qui les regardent. Ceux-là, les abonnés à la fonte, les narcisses des salles de muscus, ceux-là qui réconcilient deux activités que je pensais s'exclure : se tailler un corps de rêve et se regarder le nombril. Ceux-là, les "trop beaux". Évidemment, un des handicap de l'écrit est de ne pouvoir faire transparaître l'accent ironique et ampoulé que j'emploie en disant "trop beaux".
J'insiste bien : ce n'est pas la jalousie qui me dicte mes mots, mais bien l'éxaspération.
    Plastiquement, ils sont parfaits, les muscles bien dessinés, les toisons de poils harmonieuses (thorax, pubis, etc...). Des mannequins à la petite semaine, des apollons du belvédère, sans une once de matière grasse (matière grise ?), le regard faussement mystérieux derrière leurs lunettes Police, le sourire en porcelaine de Sèvres, délicatement gouailleur sous une barbe de 3 jours soigneusement entretenue, laissant traîner derrière leur déhanchement surtravaillé une odeur de lait solaire ni trop douce, ni trop musquée.
Ils sont "trop beaux" (pour être parfaits). Et ils le savent, et ils en jouent comme d'un signe extérieur de richesse.
    Loups solitaires, parfois en bande, mais toujours hermétiques. À la moindre discussion, ou pire! au moindre contact. J'ai toujours pensé qu'en cultivant une aura de mystère, on cherchait parfois à cacher un incommensurable creux de conversation, un vide culturel absorbé par les séances de gonflette quotidiennes et les U.V. hebdomadaires. Que l'échange se limitait alors de soi à soi-même dans une satisfaction narcissique et béate. Et oui... gros piège de l'homosexualité, quand on est soi-même demandeur et objet de son propre désir. Le "trop beau" se suffit à lui-même. Il le sait, passe encore. Mais qu'il le fasse savoir en mimant un catwalk là où d'autres se gorgent de soleil ou cherchent désespérément un coup pour la journée, quel intérêt ?
    Ils sont chiants, les "trop beaux". Ils sont chiants parce qu'en plus de rabaisser le quidam moyen, sexagénaire et ventru, ils sonnent le glas de l'entraînement physique du type au physique normal (quand je dis "normal" j'entends "qui cadre avec les données moyennes de l'INSEE") qui se dit : "À trop en faire, je vais finir par être comme eux".

    J'ai fait une petite pause pour me rassurer. 1m77, 67 kg, mince mais bien dessiné au prix de gros efforts (alimentation et exercices physiques), un regard vert accentué par le bronzage, les cheveux bruns coupés courts. Ça va, je plais encore il paraît. Comme ça. Je ne me dégoûte pas trop, c'est bien comme ça. Je continuerai sans doute ce rythme d'entretien jusqu'à ce que je sois satisfait de ma carrure. Mais jamais, ô grand jamais, qu'on me surprenne à jouer les épates-bourgeois déguisé en apollon stupide qui, à mes yeux, n'a nul autre univers que celui du papier glacé.
    Je préfère une plastique un peu moins parfaite, mais qu'au moins le mec ait de vrais morceaux d'Humain à l'intérieur...


Soundtrack : OVERHEAD — You call it love
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