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Carnet de bord d'un voyageur sans retour...
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6 juillet 2004

Demain, trois mois

–    J'avais promis que je n'en parlerai plus.
–    Ça fait combien de temps, maintenant ?
–    Trois mois. Trois mois demain. Trois mois demain soir.
–    Comment tu te sens ?
–    Mal…
–    Écoute. Il est resté quatre ans avec son ex, ils se sont tapés des parties « à cru » et son ex ne l'a pas contracté. Tu te fais du mouron pour rien ! Tu avais pris des risques avec lui ?
–    Rien qui soit vraiment suicidaire. C'est vrai qu'on a eu des petits jeux érotiques qui étaient limites, mais dans lesquels la transmission est quasi-nulle. Mais bon, tu sais, le risque zéro n'existe pas. C'est ça qui m'angoisse ?
–    Je comprends pas. T'es plus rationnel.
–    L'irrationnel n'est pas contrôlable. Ça n'est pas contrôlable. Et puis je ne suis pas seul dans l'histoire.
–    Comment ça ? c'est fini entre vous, tu n'as plus rien à lui dire.
–    Je ne parlais pas de lui, je parlais de Dan. tu sais ? Au bout du premier mois, après le premier test, il a envoyé les capotes au diable et pris pas mal de risques. Et moi aussi avec lui d'ailleurs. Si ça se prouve, ça fait deux mois qu'on se surcontamine…
–    Écoute, c'est son choix.
–    Je n'aime pas l'idée que deux destins soient liés à moi et à moi seul. Si je suis porteur, j'aurai préféré que Dan. me quitte pour aller vivre sainement une histoire saine avec quelqu'un de sain. Je n'aime pas l'idée qu'il ait scellés nos destins.
–    Tu y vas demain alors ? Tu es sûr de ne pas vouloir attendre le retour des vacances plutôt ?
–    J'en sais rien. Je sais pas. Ça va dépendre de demain comment on va se lever. Si ça se prouve j'y penserai plus. Ou bien peut être que Dan. verra que je suis complétement bloqué et viendra se faire prélever avec moi.
–    Mais comment ça t'es venu cette crise d'angoisse ?
–    Hier sur France Info ils ont parlé du virus, et de sa probable expansion sur le continent asiatique. Émis des hypothèses peu rassurantes sur l'évolution de l'Afrique pour les prochaines décennies.
–    Et t'as fait le transfert ?
–    Je n'ai pas envie de prendre des cachetons à vie. Je n'ai pas envie de savoir que j'ai une date butoir dans une dizaine, une vingtaine ou une trentaine d'années. Je n'ai pas envie de mettre en rencart mes projets pour les vieux jours. J'en ai marre… Marre de rester comme ça en équilibre sur le fil au-dessus du vide !
–    Calme-toi, perdre les pédales n'y changera rien !
–    Je ne comprends pas. Je ne comprendrais jamais pourquoi il ne m'avait rien dit dés le départ. Pourquoi il ne m'a rien dit quand il sentait que ça pouvait déraper ? Pourquoi il a attendu tout ce temps pour me le dire ? Si je l'avais su plus tôt, je serais allé à l'hosto pour une consultation et suivre une thérapie choc histoire de réduire toutes les chances à zéro. Je ne comprends pas pourquoi il m'a délibérément caché ça jusqu'à être sûr que je sois ferré dans l'angoisse ! Je ne comprens pas. Je pourrais jamais comprendre. Je lui en veux de m'avoir menti sur ça !...
–    Sur ça ? tu penses que pour le reste il était sincère ?
–    Je ne sais plus très bien, je n'ai plus souvenir de grand chose en fait… Peut être que oui, il était sincère sur le moment. Y'a eu des soirs où je l'ai cru. Y'a eu des moments où  moi-même j'y croyais, malgré tous les efforts que ça demandait. Je l'ai cru jusqu'au bout, jusqu'à la séparation même.
–    Il était sincère alors ?
–    Il menait, et mène encore je suppose, une vie qui est au-delà de cette notion de sincérité et de mensonge. Il n'y a plus assez de relief pour que ça ait du sens. Je m'en sortirai, je pense. Maintenant, lui…
–    C'est plus ton problème !
–    Ce n'est presque plus mon problème. Il me faut les résultats des derniers tests. Je ne veux pas être un cas de séro-conversion tardive. C'est triste à dire, mais c'est la seule chose qui le rattache à moi.

    Et c'est vrai. Ce soir en rentrant, j'ai pris un bain où j'ai versé les derniers centilitres du gel douche qu'on utilisait ensemble « à l'époque ». En tirant la bonde, trois mois de ma vie se sont évanouis avec les tourbillons de mousse parfumée à l'Ushuaïa au cèdre de l'Atlas. Plus jamais je ne veux ressentir cette odeur. Elle m'a suivi pendant toute cette aventure, tout ce deuil, c'est terminé. Quelques soient les résultats demain soir, je veux d'autres odeurs sur ma peau. Je veux l'oublier. Vraiment. L'expulser pour le cristalliser comme un superbe accident du passé. Et filer sur autre chose. Loin.
    Ma vie n'a pas tellement changée en trois mois. Je me lève toujours le matin, je bouquine toujours tard le soir, je fais le même boulot, mange de la même façon. Y'a juste quelques anti-dépresseurs en plus, des cigarettes qui ont un temps changé de marque, et deux ou trois modifications dans le salon. Il y a ici aussi, quelquepart perdue, une boucle d'oreille qu'il a oubliée. Elle est peut être passée déjà dans l'aspirateur, ou été jetée avec d'autres détritus du bureau, elle est peut être là, encore, ultime trace de son passage ; je n'en sais rien.
Je me suis chié dessus à d'autres occasions d'attente de résultats : examens, concours, exams médicaux autres. Mais rien ne me triture autant les viscères que les tests de dépistage HIV. Il n'est rien de pire que le soir, passer au laboratoire d'analyse, dire bonsoir, mon nom, oui je vous ai déjà réglé, pendant qu'elle fouille dans les papiers : temps suspendu où l'on se dit « tout se joue », on se rassure en se disant que dix minutes plus tôt ou plus tard, le résultat des analyses aura été le même et que tout est déjà joué. Mais pendant cette minuscule attente, tout le corps vibre au silencieux son de l'épouvante.
    Demain, peut être…

 

Sur le poste à galène : Alain BASHUNG – J'écume

 

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Commentaires
F
Minuscule attente, vertige sans nom qui broie le coeur.
N
Courage Ulysse...
G
Bisous, je pense à toi fort
C
C'est vraiment bien écrit, j'ai juste lu ça dans ton blog, donc je sais pas si c'est ta vie ou une histoire, mais c'est vraiment prenant, ça me retourne le coeur et les tripes, ça fait accélérer les battements de mon coeur, j'ai l'impression de vivre ton histoire. Je sais, ça peut paraître excessif, mais j'adore ta façon d'écrire.<br /> biz
U
L'ironie est une qualité que j'apprécie. Le Lexomil -mon ami- me sera un bon anesthésiant pour les 24 heures qui viennent. Mon homme doit passer, mais je n'ai pas l'humeur à la bagatelle.<br /> PS : superbe l'image de Rudolf N., mais je n'ai pas préféré m'attarder dessus.
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